c'est pourquoi je vous écris (couleurs de l'incendie)

Immortels, Bashung

Anna Valenn : notre Histoire, le Feuilleton

Chère Solange, 

Votre décision d'aller chanter à Berlin me fait beaucoup de souci. Je lis dans les journaux qu'il y a là-bas plein de gens malheureux, beaucoup de musiciens ! Je ne m'y connais pas beaucoup, c'est vrai, mais on a brûlé des livres, on a saccagé des magasins juifs, j'ai vu des photos. Ce qui me fait de la peine, ce n'est pas que vous chantiez à Berlin, c'est de vous voir aussi enthousiaste pour les gens qui font ça. Je ne sais pas comment vous le dire. J'ai tourné les mots dans ma tête pendant longtemps avant de prendre la plume. Je vous dois beaucoup. Quand j'ai entendu votre voix pour la première fois, c'est comme si je renaissais. Si je suis encore vivant, c'est grâce à vous. Mais ce que vous faites là ne peut pas aller avec ma vie. C'est pourquoi je vous écris. Pour vous remercier du fond du coeur. Mais vous dire aussi que je ne répondrai plus à vos lettres parce que la personne qui aime ces gens-là, sans s'occuper du reste, n'est plus celle que j'ai tant aimée. 


Paul



Couleurs de l'incendie, Pierre Lemaitre  chez Albin Michel ; en Livre de Poche.  - Après Au revoir là-haut, prix Goncourt 2013, Couleurs de l'incendie est le second volet d'un feuilleton consacré à l'entre-deux-guerres. 

Au revoir là-haut, c'était fin 1918 - 1920. Couleurs de l'incendie démarre 7 ans plus tard. Engagé et généreux, un brin anar, bien documenté, parfaitement construit, de ces rebondissements, écriture visuelle, tous les personnages ont une sacrée présence. On s'émeut on s'indigne on tremble on s'amuse on jubile, on referme la 535ème page en espérant le troisième volet annoncé.



Ce fut alors plus fort que lui :

- Votre rancune à son égard tiendrait-elle... à ces penchants ?

Elle fit mine de n'avoir rien entendu, mais comprit aussitôt que ce silence serait mal interprété. Quoi, M. Dupré allait-il croire qu'elle était une femme simplement vexée d'avoir eu pour amant un homme qui préférait les hommes ? Raison basse, Madeleine avait des préjugés, mais pas ceux là.

M. Dupré, dans ces situations, fixait sa cuillère.