nous nous retrouverons chaque nuit (amours)


Anna Valenn, Le Blog
Indigo Night, Tamino

On décide de passer le temps qu'il reste au salon. Victoire sourit, personne ne se doute de l'échange qui vient d'avoir lieu. Personne, non plus, ne remarque l'absence du Père Gabriel. Il a trouvé son chemin jusqu'à la cuisine, jusqu'à Céleste. Plein de haine, il lui crie au visage :

«Tu devrais avoir honte ! Tu brûleras en enfer ! »



Amours, Léonor de Recondo, chez Sabine Wespieser éditeur, et en format poche Points. On est début du XXe siècle dans la bourgeoisie corsetée du Cher, Anselme de Boisvaillant est notaire a épousé en secondes noces arrangées, Victoire de Champfleuri, et "visite" quand l'envie lui prend, Céleste, la jeune bonne. 

Une sensuelle et (un brin too much) tragique histoire d'amour entre femmes.



Ce premier soir, Victoire s'allonge de profil - tout son corps épouse celui de Céleste, couchée sur le dos, recevant l'enfant. Victoire blottit sa tête dans le cou de la jeune femme, et pose sa main sur son épaule. Tout est incroyablement chaste. Victoire écoute leurs respirations qui se mêlent. Elle est contre ce corps si beau qu'elle a vu dans sa chambre, et puis il y a son odeur, un parfum capiteux et âcre, quelque chose de piquant qui émeut ses narines. La découverte de l'autre.
Nous nous retrouverons chaque nuit.

Céleste sent la fougère, le foin coupé, le vin aigre, la transpiration sous le soleil ardent, la toile de lin rêche, elle s'est imprégnée de l'odeur de ses frères et ses soeurs serrés contre elle, la nuit. Céleste sent la terre battue et la solitude, toute son enfance, toute son histoire, si loin de celle de Victoire, et maintenant si proche, toute proche.

Victoire ne bouge pas sa main, elle la laisse se gorger de ce corps nouveau. Dans cet éblouissement, elle n'a qu'une pensée : nous sommes vivantes. Et cette réalité prodigieuse la propulse dans le cou de cette femme à un endroit bien précis, derrière l'oreille, sous le lobe gauche, exactement là où la peau se creuse entre nuque et mâchoire. Cet endroit porte un espoir infini, comme une fontaine de peau méconnue des autres, qu'elle vient de découvrir et qui lui ouvre un monde lumineux.

Céleste est vivante et je l'entends respirer. Dans le creux de sa peau, je suis toute entière.

Aux premières lueurs du jour, Victoire se lève, et reprend le couffin. Dans l'apesanteur de ce bonheur, elle murmure : 

"Nous nous retrouverons chaque nuit.

- Bien madame.

- La nuit, il n'y a pas de madame, pas de Victoire, il n'y a que toi et moi..."