corps désirable

Walk On The Wild Side, The Velvet Underground
Anna Valenn : Think Tank
Une horloge dans l'immeuble, sans doute à l'étage au-dessus, égrène six heures avec cette raucité des vieux ressorts. La chaleur d'une cuisse le rappelle à la mystérieuse altération des sensations périphériques. Entre ce qui n'est pas vraiment lui et cette femme sous les draps, un phénomène d'une extrême douceur se diffuse jusqu'au fond de ses orbites, derrière ses yeux, dans un point insituable du cerveau. Lorna glisse une main brûlante, palpe les pectoraux, suit du bout des doigts le dessin des muscles abdominaux et glisse la paume dans le creux velu de l'aine, saisissant un pénis déjà raidi. Tandis qu'elle s'applique à le masturber d'un mouvement de va-et-vient aveugle, des représentations inédites surgissent, des souvenirs anciens. Quand Lorna et lui se connaissaient à peine. On commence une relation le plus crûment, par instinct de chair, comme s'il fallait franchir coûte que coûte la frontière des sens. Cette façon qu'on a de se toucher et de se prendre, au début, dans un mélange d'abandon et de malaise, Cédric ne peut s'empêcher de le comparer à ce qu'il peut vivre aujourd'hui, de lui à lui, de lui à l'autre. L'accommodation à ce nouveau corps, près d'un an plus tard, ressemble à une appropriation d'ordre sexuel, une troublante usurpation, presque un viol. Et l'excitation de Lorna ajoute à son trouble. Le comble est cette pulsion de jalousie qui le prend à la voir s'activer par-dessus lui. Elle s'est enfourchée et gémit sans un instant croiser son regard, toute à ce corps d'homme, les doigts crispés aux hanches. Il lui semble être trompé et abusé à l'endroit même de sa jouissance. N'étant plus qu'une tête sur un étroit balcon d'os, comment s'identifier à l'autre, à son corps désirable ?



Corps désirable, Hubert Haddad chez Zulma - Hubert Haddad s'inspire du projet, bien réel, d'un neuro chirurgien turinois de transplantation totale, tête tronc, pour nous livrer, d'une plume inventive et acérée, un roman divertissant et étourdissant... Un brin rocambolesque, mais sensations parfaitement rendues, et questions éthiques toutes posées.


Photo d'après la série Les Gens qui lisent, Eloïse Lièvre