- Laissez-moi ici et attendez-moi...
C'est un vrai chemin de terre, comme jadis, avec de chaque côté un talus surmonté d'une haie. A deux cents mètres, j'aperçois une ferme, avec des poules sur un tas de fumier, des canards qui s'en vont en file indienne vers une mare.
Je ne savais pas que les mares existent encore. Celle-ci est couverte de lentilles d'eau. J'ignore si c'est le vrai nom, mais c'est ainsi que je les appelais, enfant, quand je jouais dans les champs. Je n'avais pas à aller loin. Presque tout de suite après le pont Saint-Laurent, on trouvait la campagne.
J'ai toujours vécu dans les villes. A Deauville, malgré notre parc, on ne peut pas parler de campagne ; au Cap-d'Antibes non plus.
Je le regrette, tout à coup. J'aurais dû acheter une propriété avec une ferme, comme beaucoup de Parisiens. Il est trop tard. Peut-être cela aurait-il fait du bien aux enfants.
Je regarde la haie et soudain je reconnais les feuilles d'un arbuste. Je regarde plus haut et je vois des noisettes encore vertes.
Ainsi donc, malgré les avions, les autoroutes, l'élevage aux produits chimiques, il y a encore des noisetiers.
J'en découvre des grappes de trois et même de quatre. Leur enveloppe vert pâle, qui ressemble à une petite robe, est astringente. Je me souviens de la sensation désagréable qu'elle laissait dans ma bouche quand je l'enlevais avec les dents.
C'est bête. Je suis tout surpris d'être ému. J'ai l'air d'avoir fait une découverte et je me répète :
- Il y a encore des noisetiers.
J'y vois comme un symbole. C'est assez flou dans mon esprit. Cela signifie sans doute que le monde a beau changer, il restera toujours des coins de fraîcheur.
Il y a encore des noisetiers, Georges Simenon ; dans TOUT SIMENON, vol. 14 aux Presses de la Cité et en Livre de Poche - Ecriture blanche et sensuelle. Et j'y vois comme un symbole, le monde a beau changer, on a encore et toujours plaisir à lire Simenon, tout à la fois délicieusement vintage et anti-conformiste.
Je ne prends pas l'ascenseur, car je n'ai qu'un étage à descendre pour apercevoir sur une porte d'acajou la plaque de cuivre qui porte, gravés, les mots :
Le F. est là pour François. C'est moi. Si l'affaire m'appartient encore pour la plus grande partie, je ne joue plus réellement le rôle de patron. J'y ai renoncé il y a quatre ans, à soixante-dix ans, un anniversaire qui m'a fort troublé car j'ai eu l'impression, soudain d'être vieux.
Jusqu'alors, c'est à peine si j'y vais pensé. Je commençais, certes à me fatiguer plus vite, à appeler plus souvent Candille pour des bobos, mais je ne me sentais pas un vieillard.
Or du jour au lendemain, j'ai décidé que j'en étais un et je me suis mis à vivre, à marcher, à parler, à agir en vieillard.
Je ne prends pas l'ascenseur, car je n'ai qu'un étage à descendre pour apercevoir sur une porte d'acajou la plaque de cuivre qui porte, gravés, les mots :
F. Perret-Latour
Banquier
Le F. est là pour François. C'est moi. Si l'affaire m'appartient encore pour la plus grande partie, je ne joue plus réellement le rôle de patron. J'y ai renoncé il y a quatre ans, à soixante-dix ans, un anniversaire qui m'a fort troublé car j'ai eu l'impression, soudain d'être vieux.
Jusqu'alors, c'est à peine si j'y vais pensé. Je commençais, certes à me fatiguer plus vite, à appeler plus souvent Candille pour des bobos, mais je ne me sentais pas un vieillard.
Or du jour au lendemain, j'ai décidé que j'en étais un et je me suis mis à vivre, à marcher, à parler, à agir en vieillard.