Fous ta cagoule, Fatal Bazooka
Les révolutionnaires, exaltés, reprirent cette dernière expression, et leurs voix retentirent comme un coup de tonnerre sous la voûte de l'atelier.
Enfin, avec une infinie douceur, il leur livra la source de cette homélie.
«I Corinthiens. Chapitre 13, versets 4 à 8.»
Là, ils hésitèrent un instant, puis le répétèrent mot à mot ce qui'l venait de dire.
«Il n'y a pas ce passage-là dans le Petit Livre rouge», cria quelqu'un dans l'assistance. Le chef de la sécurité se tourna vers Yong Sheng.
«À quoi tu joues ? lui demanda-t-il.
- J'ai eu un moment d'égarement. Je me suis trompé de récitation.
- D'où ça sort, ces phrases-là ?
- De la Bible. Le Nouveau Testament.»
Sans le laisser finir sa phrase, l'autre lui balança un grand coup de pied, qui le fit tomber de la tribune. De nouveau, la plaque de ciment dégringola, comme un homme ivre, les trois marches de soubassement du fourneau.
Anna Valenn, Le Blog |
«Bon ! Maintenant, tu vas réciter un passage du Petit Livre rouge, pour demander au président Mao de te pardonner.
- Quel passage ? Laissez-moi réfléchir.
- Dépêche-toi !
- Voilà. Si j'a commis des erreurs, je demande à tous les camarades de me corriger.»
La charité est patiente, elle est pleine de bonté.
Au pied de la tribune, un groupe d'enfants répéta sa phrase.
La charité n'est point envieuse.
D'autres enfants se joignirent au premier groupe, pour reprendre ses paroles. On eût dit un choeur de petits catéchumènes, dont les voix cristallines s'élevaient dans ce lieu, qui avait jadis été une église. Helai et le Manchot, qui volaient dans les airs au-dessus d'eux, en furent si séduits qu'ils regagnèrent le sol.
La charité ne se vante point, elle ne s'enfle point d'orgueil, elle ne fait rien de malhonnête, elle ne cherche point son intérêt.
Peu à peu, les gens cessèrent de se quereller, pour mêler leurs voix à celles des enfants, et répéter mécaniquement le sermon de Yong Sheng, à la manière d'automates.
Elle ne s'irrite point, elle ne soupçonne point le mal, elle ne se réjouit point de l'injustice, mais elle se réjouit de la vérité.
Bientôt contaminé par la ferveur de la foule, le chef de la sécurité commença à remuer les lèvres. Lorsque, à son tour il répéta les mots prononcés par Yong Sheng, le son qui sortit de sa bouche ressembla plus à un aboiement qu'à une voix humaine.
Elle excuse tout, elle croit tout, elle supporte tout.
Cette phrase, que Yong Sheng fit traîner comme une longue plainte, lui rappela ses bénédictions d'antant.
La charité ne périt jamais.
Enfin, avec une infinie douceur, il leur livra la source de cette homélie.
«I Corinthiens. Chapitre 13, versets 4 à 8.»
Là, ils hésitèrent un instant, puis le répétèrent mot à mot ce qui'l venait de dire.
«Il n'y a pas ce passage-là dans le Petit Livre rouge», cria quelqu'un dans l'assistance. Le chef de la sécurité se tourna vers Yong Sheng.
«À quoi tu joues ? lui demanda-t-il.
- J'ai eu un moment d'égarement. Je me suis trompé de récitation.
- D'où ça sort, ces phrases-là ?
- De la Bible. Le Nouveau Testament.»
Sans le laisser finir sa phrase, l'autre lui balança un grand coup de pied, qui le fit tomber de la tribune. De nouveau, la plaque de ciment dégringola, comme un homme ivre, les trois marches de soubassement du fourneau.
L'Évangile selon Yong Sheng, Dai Sijie chez Gallimard. Dai Sijie écrit en français, et vit en Chine. Roman dédié à la mémoire du pasteur Dai Meitai (1895 - 1973) grand-père de l'auteur. - Né au début du vingtième siècle dans la province chinoise du Fujian, Yong Sheng est fils de charpentier, grand maître artisan de sifflets pour colombophiles. Yong Sheng sera placé tout gamin à l'école tenue
par un pasteur étranger, il demandera le baptême, sera forcé au mariage par superstition, s'en accommodera, choisira de devenir pasteur, ouvrira un orphelinat. Et puis c'est 1949, l'avènement de la République populaire, l'absurde et le calvaire culminent lors de la Révolution culturelle. Les trahisons.
Un sacré talent de conteur, c'est personnel, inspiré de l'histoire de son grand-père pasteur. C'est exotique, descriptions qui emportent et font voyager, c'est historique, instructif, intelligent, et palpitant.
- S'il vient étudier dans mon école, il doit avoir un nom.»
par un pasteur étranger, il demandera le baptême, sera forcé au mariage par superstition, s'en accommodera, choisira de devenir pasteur, ouvrira un orphelinat. Et puis c'est 1949, l'avènement de la République populaire, l'absurde et le calvaire culminent lors de la Révolution culturelle. Les trahisons.
Un sacré talent de conteur, c'est personnel, inspiré de l'histoire de son grand-père pasteur. C'est exotique, descriptions qui emportent et font voyager, c'est historique, instructif, intelligent, et palpitant.
«Comment s'appelle votre petit-fils ? avait demandé le pasteur.
- On l'appelle petit Yong, il n'a pas de prénom, il est encore trop petit. Si on lui en donnait un, les démons pourraient nous le prendre.
- On l'appelle petit Yong, il n'a pas de prénom, il est encore trop petit. Si on lui en donnait un, les démons pourraient nous le prendre.
- S'il vient étudier dans mon école, il doit avoir un nom.»
La grand-mère réfléchit, et finit par accepter :
«D'accord. Vous pourriez lui en choisir un, puisque vous êtes pasteur.
- Il s'appellera Yong Sheng. Sheng, c'est le son. Ce sera un hommage aux sifflets de son père.»