ouragan

Rock You Like a Hurricane, Scorpions

Anna Valenn, Le Blog
Le mari qui demande à sa femme si elle a vu ce fou qui roule en sens inverse, un type qui n'a pas été prévenu peut-être, mais non, comment serait-ce possible ? ou quelqu'un qui a oublié chez lui quelque chose de vraiment important, mais qu'est-ce qui peut bien valoir de revenir ainsi en arrière ? Et le silence finit par s'installer dans la voiture, chacun se demandant, en son âme et conscience, ce qui pourrait bien justifier, pour eux, de faire marche arrière. Il roule tout droit et va toujours plus vite. Il remonte le long fleuve embouteillé de l'exode et il pense qu'il est comme eux, exactement comme eux. Lui aussi roule pour sa survie, lui aussi a pris sa voiture pour se sauver.




Ouragan, Laurent Gaudé chez Actes Sud, en J'ai Lu. - On est en Louisiane. L'Ouragan, une centenaire noire et altière, des prisonniers enragés, une femme et son enfant noir, un homme amoureux, un illuminé, la furie des éléments,  l'appétit des alligators, c'est l'apocalypse et la lutte pour la survie, le courage, la folie et la grâce. 


Un roman chorale qui donne la force de se relever. Et l'écriture de Laurent Gaudé est ardente.


Je m'assois. Et je le fais toujours avec un sourire d'aise, n'en déplaise aux jeunes qui me regardent en se demandant quel besoin a une vieille carne dans mon genre de prendre le bus si tôt, encore qu'il n'en soit pas tant que ça à se demander ce genre de choses car la plupart s'en foutent, comme ils se foutent de tout. Je le fais parce que j'ai gagné le droit de le faire et que je veux mourir en ayant passé plus de
jours à l'avant des bus, qu'à l'arrière, tête basse, comme un animal honteux. Je le fais et c'est encore meilleur lorsque je tombe sur des vieux Blancs. Alors, là, oui, je prends tout mon temps. Car je sais que, même s'ils font mine de rien, ils ne peuvent s'empêcher de penser qu'il fut un temps, pas si lointain, où mon odeur de négresse ne pouvait pas les importuner si tôt le matin, et j'y pense moi aussi - si bien que nous sommes unis, d'une pensée commune, même si chacun fait bien attention de ne rien laisser paraître, nous sommes unis, ou plutôt face à face - et je gagne, chaque fois. Je m'assois le plus près de là où ils sont, en posant mes fesses sur un morceau de leur veste si possible pour qu'ils soient obligés de tirer dessus et que leur mécontentement croisse encore. Jamais aucun de ces vieux Blancs ne m'a laissé sa place lorsqu'il est arrivé que le bus soit plein. Une fois seulement, alors que j'avançais dans la travée centrale, un homme m'a souri, s'est déplacé pour aller côté fenêtre et m'a fait signe de m’installer à côté de lui, sur la place qu’il libérait. “Tu n’as pas peur des vieilles vaches noires, fils ?” j’ai lancé pour rie. Il m’a répondu en souriant : “Nous nous sommes battus pour cela.” C’est depuis ce jour que lorsque j’ai besoin d’un clou, ou d’une ampoule - ce qui n’arrive pas si souvent -, je traverse la ville pour aller chez Roston and Sons, le quincailler. Car ce jeune blanc-bec est le cadet du vieux Roston et je me fous que le clou soit plus cher qu’ailleurs, j’y vais au nom des vieilles luttes et du goût savoureux de la victoire.