Anna Valenn, Le Blog
|
Les yeux baissés, son voile remonté jusqu'au-dessus du nez elle se sentait disparaître et elle ne savait pas vraiment quoi en penser. Si cet anonymat la protégeait, la grisait même, il était comme un gouffre dans lequel elle s'enfonçait malgré elle et il lui semblait qu'à chaque pas elle perdait un peu plus son nom, son identité, qu'en masquant son visage elle masquait une part essentielle d'elle-même. Elle devenait une ombre, un personnage familier mais sans nom, sans sexe et sans âge. Les rares fois où elle avait osé parler à Amine de la condition des femmes marocaines, de Mouilala qui ne sortait jamais de chez elle, son mari avait coupé court à la discussion. "De quoi tu te plains ? Tu es une Européenne, personne ne t'empêche de rien. Alors occupe-toi de toi et laisse ma mère où elle est."
Le pays des autres, Leïla Slimani aux Éditions Gallimard - Tout commence avec la grande Madeleine qui épouse le bel Amine qui la ramène au bled. Saga familiale entre Maroc et Alsace, dans les années 50. Ecriture maîtrisée, un brin trop pédagogique à mon goût, tout est éclairci, expliqué comme le ferait un bon professeur, cela dit, la construction du roman est impeccable, et tous les personnages sont magnifiques, complexes, et attachants. Le roman se termine sur un "cliffhanger" terrible ! Hâte de lire la suite.
Omar ne réapparut pas. Une semaine passa, puis un mois, et Omar n'avait toujours pas donné signe de vie.
Un matin, Yasmine trouva devant la porte cloutée deux paniers remplis de nourriture. Ils étaient si lourds qu'elle dut les traîner sur le sol jusqu'à la cuisine et elle appela Mouilala en hurlant. "Deux poulets, des oeufs et des fèves. Regardez ces tomates et ce sachet de safran !" Mouilala se jeta sur l'ancienne esclave et elle la frappa. "Range tout ça ! Tu m'entends, range-le !" Son visage flétri était couvert de larmes et elle tremblait. Mouilala savait que les nationalistes distribuaient aux familles de martyrs ou de prisonniers des paniers de nourriture et parfois de l'argent. "Idiote ! Imbécile ! Tu ne comprends pas qu'il est arrivé quelque chose à mon fils ?"