si tu veux faire une connerie, tu as toute une équipe avec toi (entre deux mondes)

Note Blanche, N'To Anna Valenn, Le Blog

- La brigade des mineurs s'occupe des mineurs calaisiens, 
c'est tout. Ils n'ont pas les moyens, surtout aucune solution 
pour les minots de la Jungle. Pour moi, c'est un adulte et je 
le traite comme tel.

- Je veux bien comprendre que tu as du boulot cette nuit,
mais il ne va pas pouvoir faire le chemin en sens inverse.
Il y a pas loin de six kilomètres entre l'hôpital et la Jungle.

- Evidemment que je vais le déposer, Miller. Tu me prends
pour qui ?

Vrai crétin ou flic épuisé, Bastien hésita.

- Excuse-moi. Tout le monde semble à bout ici. Je n'arrive
plus à faire la différence entre l'exaspération et la connerie.

- Parie quand même sur l'exaspération, c'est le plus fréquent.
C'est le moins vexant aussi.

Cotin écrasa sa cigarette sur le sol, à quelques centimètres d'un
cendrier débordant, reflétant le stress de ceux qui patientaient
habituellement sous le porche des urgences.

- Les infirmières, poursuivit-il, elles t'ont dit ?

- A quel sujet ? demanda Bastien.

- Ce qu'elles ont découvert sur le gosse. Ou plutôt ce qui lui
manque.
Damas. Adam était du bon côté du pays et du bon côté de l'ordre. Flic pendant plus de quinze ans et maintenant, agent dévoué de la police militaire du régime de Bachar el-Assad. Personne ne se serait méfié de lui. Peut-être même réussirait-il à sauver sa femme et sa fille avant de se faire abattre. Il ne restait que très peu de temps.

Il héla un taxi et s'y engouffra.

- Muhajirin*, rue principale.

- C'est long comme rue, rétorqua le chauffeur.

- Au bas de la colline, ce sera très bien.


Adam n'avait plus confiance en personne et aucune envie de donner son adresse précise à un inconnu.





Entre deux mondes est le quatrième roman  noir d'Olivier Norek publié aux éditions Michel Lafon. Reportage d'actualité fait roman. Très bien construit et rythmé, humain et ultra-réaliste,  la Jungle de Calais comme si vous  y étiez, tout sonne vrai et proche. Une fin ouverte, donne à espérer une suite, c'est qu'on s'attache à Bastien et Adam, nos deux flics, l'un français l'autre migrant.



Passaro descendit la dune en deux enjambées, suivi par Bastien, un peu plus maladroitement.


Abandonnant la Jungle sous l'oeil témoin témoin et accusateur d'une dizaine de téléphones, ils croisèrent une jeune femme vêtue d'un gilet "Care for Calais", l'une des associations humanitaires locales les mieux intégrées du camp. Elle tenait en main une photo couleur remise par un homme qui, depuis, ne la quittait pas d'un centimètre. C'est un espoir douloureux, presque brûlant que Bastien aperçut dans les yeux de ce dernier. Comme s'il jouait sa vie à présenter une simple photo.
En Afghanistan, ils appellent ça Bacha Bazi.
Jouer avec les garçons. C'est une tradition.
Tu leur as volé leur "garçon",
ils te disent qu'ils ne l'oublient pas.
Tu fais bien de venir t'installer dans notre camp,
mais avec l'avertissement que tu as reçu ce matin,
 il faut aussi que j'en parle aux autres.
J'ai beau être chef du campement,
se mettre à dos les Afghans,
c'est une décision qui se prend ensemble.
When ? fit la jeune femme.
- Je vous dis que je parle le français, s'agaça l'autre.
- Alors, quand ?
- Elles ont dû arriver il y a au moins une semaine.
- Si elles sont bien là, c'est au camp des femmes que nous les trouverons. Attendez, je vais noter leurs noms et on va vérifier ensemble.
Elle sortit un calepin et Adam lui épela, doucement :
- Sarkis. Nora et Maya Sarkis. Ma femme et ma fille.
En les regardant s'éloigner, Bastien pensa à Manon et Jade. Tout cela n'avait aucun sens. Aucune morale.
"Ce job, il se fait en apnée", avait dit Passaro.




* Muhajir, c'est migrant en arabe. Muhajirin, les migrants.