il te reste de la pâte de piment ? (hiver à sokcho) +1

On Melancholy Hill, Gorillaz
Anna Valenn aime les +1ers romans
Plus tard depuis mon lit, j'ai entendu le grattement de la plume. Je me suis collée contre la paroi. Cela rongeait, démangeait. Me dérangeait presque. Ce n'était pas continu. J'imaginais les doigts de Kerrand s'animer en patte d'araignées, son regard se relever encore, s'assurer que l'encre ne trahirait pas la vision, vérifier que le temps qu'il trace le trait, la femme ne s'enfuirait pas. Je la voyais vêtue d'un morceau de tissu du buste à la naissance des cuisses, lever le menton, un bras contre le mur, et l'appeler, câline, arrogante. Mais face à la peur comme les autres fois, il verserait l'encre pour qu'elle s'évanouisse.





Hiver à Sokcho, Elisa Shua Dusapin aux Éditions ZOÉ. - Ça se passe en hiver, à Sokcho, ville portuaire et balnéaire à la frontière de la Corée du Nord. Elle est née d'un père français qu'elle ne connaît pas, et d'une mère coréenne qui travaille le poisson, et dont elle est toute la vie. Son petit ami, mannequin, part tenter sa chance à Séoul. Elle a étudié la littérature coréenne et française, mais là, est bonne à tout faire, aussi la cuisine, dans une pension défraîchie. Lui, débarque dans cette pension, est normand et auteur de BD venu chercher l'inspiration. Un premier roman, comme une peinture impressionniste, et très réaliste pour les détails. 


En retournant à la réception, j'ai fait un détour par le marché de poissons pour chercher les restes que ma mère me mettait de côté. J'ai traversé les allées jusqu'à l'étal quarante-deux sans prêter attention aux regards levés sur mon passage. Vingt-trois ans après que mon père avait séduit ma mère puis était reparti sans laisser de traces, mon métissage français restait source de commérages.

Ma mère, trop fardée comme toujours, m'a tendu un sac de bébés poulpes :

- On n'a que ça en ce moment. Il te reste de la pâte de piment ?

- Oui.

- Je vais t'en donner.

- Pas la peine, j'en ai encore.

- Pourquoi tu ne l'utilises pas ?

- Je l'utilise !