"qu'est-ce que je vais en faire ? lui demandai-je. - de quoi ? - de cette histoire." (idylle avec chien qui se noie / idylle mit entrinkendem hund)

Tears in Heaven, Eric Clapton

Et parfois, nous nous retrouvons la nuit dans la cuisine. Comme si nous venions de pays différents. Alors je nous prépare un chocolat chaud. Monika épluche une banane, m'en donne la moitié. Nous penchons la tête vers l'épaule de l'autre, Monika me dit que de nouveau elle n'a pas rêvé de Paula ; je lui dis que moi non plus, je n'ai pas rêvé d'elle. Monika réchauffe ses mains sur la tasse et pose ses pieds sur mes genoux, je commence à les masser. Je le fais parce que ça nous rappelle Paula. Paula allongée sur le canapé devant la télé et qui disait : "Maman, masse-moi les pieds." Pour le chocolat chaud, c'est la même chose. Je lui préparais un chocolat chaud pour chasser son chagrin. Elle ne voulait plus dormir dans sa chambre de petite fille. Lorsqu'elle venait de Vienne, Monika lui installait un drap et une couverture sur le canapé du salon. La dernière fois, elle avait dormi dans son lit, avant que son copain d'alors ne la quitte. Sa chambre était toujours hantée par toutes ces conversations téléphoniques, disait-elle, elle avait honte. Lorsqu'elle était rentrée de son voyage au Mexique, elle s'était assise à son bureau et avait tapé sur l'ordinateur les histoires qu'elle avait écrites en voyage sur un gros cahier d'écolier acheté là-bas. La journée, disait-elle, la chambre était une pièce neutre, peut-etre même un peu étrangère, ce qui lui plaisait ; la nuit, elle lui rappelait trop celle qu'elle avait été. Mais même en pleine journée, il fallait laisser la porte de sa chambre ouverte.






Idylle avec chien qui se noie, Michaël Köhlmeier traduit de l'allemand par Stéphanie Lux et publié aux éditions Jacqueline Chambon - Actes Sud - Comment survivre, et quoi écrire après la mort d'un enfant ? Michaël Köhlmeier, qui a perdu sa fille aînée dans un accident de montagne, nous livre ici une leçon d'écriture subtile.





"Je ne veux pas écrire cette histoire ! l'avais-je interrompu.
Il avait répondu : "Ne me racontez pas ce que vous ne voulez pas écrire ! Je suis votre éditeur !"