Ce qu'on m'a reproché le plus, au procès, c'est d'avoir introduit une femme, d'avoir introduit ma maîtresse au domicile conjugal. A leurs yeux, je crois bien que c'est mon plus grand crime et qu'on m'aurait pardonné, à la rigueur, d'avoir tué. Mais mettre Martine face à face avec Armande, ils en étaient tellement indignés qu'ils ne trouvaient pas les mots pour qualifier ma conduite.
Qu'est-ce que vous aurez fait, mon juge ? Est-ce que je pouvais m'en aller tout de suite. Est-ce que cela aurait paru plus naturel ? Comme ça, dès le premier jour de but en blanc ?
Est-ce que je savais seulement où nous allions ? Il y a une chose que je savais, une seule, c'est que je ne pouvais plus me passer d'elle et que j'éprouvais une douleur physique aussi violente que celle du plus affligé de mes malades dès qu'elle n'était plus près de moi, dès que je ne la voyais pas, que je ne l'entendais pas.
C'était soudain le vide total.
Est-ce que c'est tellement extraordinaire ? Est-ce que je suis le seul homme à avoir connu ce vertige ?
Est-ce que je suis le premier à avoir haï tous ceux qui étaient susceptibles de s'approcher d'elle en mon absence ?
On aurait pu le croire en écoutant ces messieurs qui regardaient d'un air tantôt indigné, tantôt apitoyé. Plus souvent indigné.
Lettre à mon juge, Georges Simenon dans TOUT SIMENON vol. 1 aux Presses de la Cité, et en Livre de Poche - Du fond de sa cellule, le Docteur Charles Alavoine, condamné pour le meurtre de sa maîtresse, écrit à son juge, pour s'expliquer. Georges Simenon dénonce le cirque des Assises, et tente de nous faire comprendre comment un homme devient un monstre de jalousie, de possessivité. Éclairage sur ce qu'on qualifierait aujourd'hui de féminicide ?