aux esprits émancipés (NOIR - entre peinture et histoire)

Zoom Zoom, Polo & Pan

Anna Valenn, Le Blog
Considérée comme le chef-d'oeuvre de Marie-Guillemine Benoist, cette toile est présentée au Salon de 1800 avant d'être achetée par Louis XVIII pour le palais du Louvre. Ce tableau est une prouesse car elle le réalise à une époque où la représentation du teint de peau des Noirs n'était pas encore maîtrisée. On voit bien ici que l'artiste est capable de reproduire avec précision le dégradé de la pigmentation, notamment visible sur la poitrine. 


Benoist prend un triple risque en peignant une femme, à demi-nue et noire à une période où sont attendus des sujets plus classiques. En effet, faire poser une femme au sein apparent peut être interprété comme une audacieuse revendication féministe avant l'heure, en phase avec les valeurs d'égalité prônées par la société révolutionnaire. Le choix d'un modèle de couleur doit être mis en perpective avec le contexte. Lorsque la femme peintre réalise cette oeuvre, la France connaît une brève période d'abolition de l'esclavage, depuis 1794, qui n'est entrée toutefois que partiellement en vigueur à cause du climat d'instabilité politique qui régnait. Ce tableau reflète donc une avancée des droits de la femme et des Noirs. Cependant, cette phase de liberté s'achève rapidement. L'esclavage est rétabli en 1802 et le Code Civil de 1804 revient à une conception rétrograde du statut de la femme.

Le modèle posant sur cette toile est un individu libre, car l'esclavage est interdit sur le territoire métropolitain depuis 1315 et dans l'ensemble des territoires sous domination française depuis six ans. Cependant, sa condition de femme et de domestique l'empêche de vivre une réelle émancipation. Son fichu drapé sur la tête est un symbole faisant référence à son statut de domestique antillaise et l'anneau à son oreille une preuve de sa

servilité passée. Cette femme serait la servante du beau-frère de l'artiste, certainement ramenée des Antilles. Elle se tient assise au milieu des trois couleurs de la Révolution comme sur le portrait de Jean-Baptiste Belley peint par Anne-Louis Girodet trois ans plus tôt. Cependant, ce dernier est présenté dans une posture en accord avec son rôle de député et seule sa couleur pouvait alors choquer. Ici, le modèle féminin est mis en scène comme pourrait l'être une femme blanche. Marie-Guillemine Benoist ne réduit pas son modèle à sa condition raciale. Au contraire, ce portrait de trois-quarts nous rappelle ceux des femmes de haut rang que réalisait son maître David. Toutefois, Benoist se permet de dévoiler le sein de ce modèle car il ne s'agit que d'une servante dont la féminité est légèrement atténuée par la mise en valeur de sa musculature : son épaule large, son triceps saillant et son avant-bras épais pourraient être ceux d'un homme. Deux siècles plus tard, la silhouette de cette femme noire, mise en avant par une posture élégante, correspond davantage aux canons de la beauté contemporaine et 


NOIR - Entre peinture et histoire, Naïl Ver-Ndoye et Grégoire Fauconnier aux éditions omniscience  - 
Merveilleuse expo engagée
Livre d'art et riche d'Histoire, de magnifiques reproductions. Matière à émanciper les esprits, et séduire les sens. 

Lecture parfaite pour préparer ou compléter la visite de deux expos parisiennes, l'une merveilleusement engagée, l'autre sensuelle. 



Edouard Debat-Ponsan (1847-1913) - Le massage ou Scène de hammam. 1883. Huile sur toile. 

Dans ce tableau emblématique de l'orientalisme, le corps 
Un orient fantasmé
musclé et tendu de la servante en plein travail s'oppose au corps bien en chair et laiteux d'une femme blanche alanguie. La différence de couleur de peau n'empêche pas le peintre de créer, par le prolongement des mouvements respectifs de ses deux modèles, une forte tension érotique. Le peintre s'inspire certainement de son intimité puisque le modèle central de sa toile est sa femme. Cette oeuvre s'inspire aussi d'un voyage que le peintre a effectué en Turquie entre 1882 et 1883... avec son épouse.