Anna Valenn, Le Blog |
Un soir sur deux, la terrasse de la Grande Maison est débarrassée. Les enceintes sont sorties sous les étoiles. Le tourne-disque est allumé. C'est l'heure de danser. Un grand rock tous ensemble. En cercle, à genoux, we will rock you. On tape sur le sol, on crie comme des fous. "Hotel California", "Africa", "Couleur menthe à l'eau." Plus tard, Balavoine, "Mon fils, ma bataille". Et pour Luc, "Sympathy". Luc qui m'apprend le rock. Luc, le copain qui, selon mon beau-père, est amoureux de ma mère. Luc, le copain que mon beau-père nous fait appeler "Buc", pour dire "Luc bande". Luc, l'un des copains que j'aime tant mais que mon beau-père adore ridiculiser.
Victor m'a demandé de venir le voir dans sa chambre. C'était après la première fois. Quelques semaines après, je crois. Il m'a dit : "Il m'a emmené en week-end. Tu te souviens ? Là, dans la chambre, il est venu dans mon lit et il m'a dit : "Je vais te montrer. Tu vas voir, tout le monde fait ça." Il m'a caressé et puis tu sais..."
Je connais mon frère, il est apeuré. Plus qu'emmerdé de me parler, il guette mon regard, essaye de savoir : "C'est mal, tu crois ?" Ben non, je ne crois pas. Puisque c'est lui, c'est forcément rien. Il nous apprend, c'est tout. On n'est pas des coincés !
Mon frère m'explique : "Il dit que maman est trop fatiguée, qu'on lui dira après. Ses parents se sont tués. Faut pas en rajouter." Là, je suis d'accord.
Il me dit aussi :"Respecte de secret. Je lui ai promis, alors tu promets. Si tu parles, je meurs. J'ai trop honte. Aide-moi à lui dire non, s'il te plaît."
Et parfois : "Je ne sais pas s'il faut se fâcher. Il est gentil avec moi, tu sais."
Mon cerveau se ferme. Je ne comprends rien. C'est vrai qu'il est gentil, mon beau-père adoré.
Je les ai souvent vus faire. Je connais bien leur jeu. A Sanary, certains des parents et enfants s'embrassent sur la bouche. Mon beau-père chauffe les femmes de ses copains. Les copains draguent les nounous. Les jeunes sont offerts aux femmes plus âgées.
Je me souviens du clin d'oeil que mon beau-père m'a adressé lorsque, petite, j'ai découvert que sous la table il caressait la jambe de la femme de son copain, le communicant avec lequel nous étions en train de dîner. Je me souviens du sourire de cette femme aussi. Je me souviens des explications de ma mère à qui je l'ai raconté : "Il n'y a rien de mal à ça, mon Camillou. Je suis au courant. La baise c'est notre liberté."