la familia grande +1

Ma doudou, Julien Clerc
Parfois, mon frère reçoit un appel de ma mère. À Victor, elle dit que le beau-père ne nie pas. "Il regrette, tu sais. Il n'arrête pas de se torturer. Mais il a réfléchi, c'est évident, tu devais avoir déjà plus de 15 ans. Et puis, il n'y a pas eu sodomie. Des fellations, c'est quand même très différent."
 
À moi, elle dit des mots qui incriminent : "Comment avez-vous pu ainsi me tromper. Toi la première, Camille, ma fille qui aurait dû m'avertir. J'ai vu combien vous l'aimiez, mon mec. J'ai tout de suite su que vous essayeriez de me le voler. C'est moi, la victime."

Anna Valenn, Le Blog

 
Pour le reste, ele essaye de me faire taire. Elle me propose d'écrire un manuel pour la collection qu'elle dirige, m'envoie de quoi arrondir les fins de mois, me dit son amour et sa solitude, loin de ses enfants et petits-enfants. Pour le reste, quasiment plus un mot. 
   
Moi, pendant des années, j'essaye de lui plaire et de la retrouver.

Petit, mon frère m'avait prévenue : "Tu verras, ils me croiront mais ils s'en foutront complètement." Merde. Il avait raison.

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Un soir sur deux, la terrasse de la Grande Maison est débarrassée. Les enceintes sont sorties sous les étoiles. Le tourne-disque est allumé. C'est l'heure de danser. Un grand rock tous ensemble. En cercle, à genoux, we will rock you. On tape sur le sol, on crie comme des fous. "Hotel California", "Africa", "Couleur menthe à l'eau." Plus tard, Balavoine, "Mon fils, ma bataille". Et pour Luc, "Sympathy". Luc qui m'apprend le rock. Luc, le copain qui, selon mon beau-père, est amoureux de ma mère. Luc, le copain que mon beau-père nous fait appeler "Buc", pour dire "Luc bande". Luc, l'un des copains que j'aime tant mais que mon beau-père adore ridiculiser. 



La Familia grande, Camille Kouchner éditée au Seuil - Comprendre et ne pas juger... Camille Kouchner nous donne ici tous les éléments pour comprendre les protagonistes, leur psychologie, le contexte, une époque, un milieu, et juger le coupable, et pointer du doigt les complicités-complaisances, dénoncer un crime, l'inceste, éviter qu'il ne se reproduise,... et venger la victime. 

C'est une lecture passionnante, très bien écrite, et nécessaire. Mille bravos. Un magnifique travail d'avocate et d'adorable soeur jumelle.


Victor m'a demandé de venir le voir dans sa chambre. C'était après la première fois. Quelques semaines après, je crois. Il m'a dit : "Il m'a emmené en week-end. Tu te souviens ? Là, dans la chambre, il est venu dans mon lit et il m'a dit : "Je vais te montrer. Tu vas voir, tout le monde fait ça." Il m'a caressé et puis tu sais..."

Je connais mon frère, il est apeuré. Plus qu'emmerdé de me parler, il guette mon regard, essaye de savoir : "C'est mal, tu crois ?" Ben non, je ne crois pas. Puisque c'est lui, c'est forcément rien. Il nous apprend, c'est tout. On n'est pas des coincés !

Mon frère m'explique : "Il dit que maman est trop fatiguée, qu'on lui dira après. Ses parents se sont tués. Faut pas en rajouter." Là, je suis d'accord.

Il me dit aussi :"Respecte de secret. Je lui ai promis, alors tu promets. Si tu parles, je meurs. J'ai trop honte. Aide-moi à lui dire non, s'il te plaît."

Et parfois : "Je ne sais pas s'il faut se fâcher. Il est gentil avec moi, tu sais." 

Mon cerveau se ferme. Je ne comprends rien. C'est vrai qu'il est gentil, mon beau-père adoré.


Je les ai souvent vus faire. Je connais bien leur jeu. A Sanary, certains des parents et enfants s'embrassent sur la bouche. Mon beau-père chauffe les femmes de ses copains. Les copains draguent les nounous. Les jeunes sont offerts aux femmes plus âgées.

Je me souviens du clin d'oeil que mon beau-père m'a adressé lorsque, petite, j'ai découvert que sous la table il caressait la jambe de la femme de son copain, le communicant avec lequel nous étions en train de dîner. Je me souviens du sourire de cette femme  aussi. Je me souviens des explications de ma mère à qui je l'ai raconté : "Il n'y a rien de mal à ça, mon Camillou. Je suis au courant. La baise c'est notre liberté."