les délices de tokyo / an +1

Spring, Vivaldi recomposed by Max Richter

Ces dorayaki spéciaux n'étaient pas réservés à Wakana, Tokue en confectionnait de temps à autre. Elle fourrrait de an ou de crème fraîche les ronds de pâte ratés de Sentarô. Lorsque les jeunes filles avec lesquelles elle parlait à coeur ouvert venaient, Tokue leur en offrait en disant : "C'est gratis."
Cela déplaisait à Sentarô. Il avait beau le lui faire comprendre, Tokue ne cédait pas. 
"Qu'est-ce que ça peut bien faire ? C'est mieux que de les jeter."


Anna Valenn, Le Blog

"Ceux-ci sont meilleurs", disait Wakana, qui ne tarissait pas d'éloges sur les dorayaki spéciaux. Tokue, aux anges, y rajoutait une cuillérée de miel.
C'est après avoir englouti un de ces dorayaki originaux qu'un jour Wakana finit par demander à Tokue : "Euh... Qu'est-il arrivé à vos doigts, madame Yoshii ?"
Sentarô se retourna ; Tokue venait juste de croiser les mains, comme pour cacher ses doigts.
"Eh bien, tu vois, ils sont restés pliés. Une maladie quand j'étais jeune.
- "Quelle maladie ?"
Il sembla à Sentarô que le visage de Tokue s'était figé.
"C'était une maladie terrible."
Tokue n'ajouta rien. Wakana hocha la tête, sans la questionner plus avant. Peut-être ne savait-elle plus quoi dire ; elle croqua dans son dorayaki et mastiqua en silence. Sentarô avait l'impression que seul ce bruit de mastication allait et venait entre Tokue et Wakana.
Depuis ce jour-là, Wakana n'était plus revenue.

Les Délices de Tokyo, Durian Sukegawa traduit par Myriam Dartois-Ako - Sentarô tient une échoppe de dorayaki, petites crêpes épaisses fourrées à la pâte d'haricots rouges sucrée. Madame Yoshii, vielle dame aux doigts tout handicapés propose de l'aider à les améliorer, c'est que des dorayaki, elle en a fabriqués pendant cinquante ans. Entre eux naît une touchante affection filiale.  

J'avais vu au cinéma Les Délices de Tokyo, une merveille de poésie et d'émotion délicate. Chose suffisamment rare pour être soulignée, le film me semble supérieur au roman. Le roman est bon, le film est excellent. Le roman est un brin longuet sur les aspects pâtissiers, mais complet et intéressant le topo sur la maladie de Hansen (la lèpre), le calvaire physique et psychique enduré, le confinement strict dans un quartier réservé, et l'exclusion de la société aussi après guérison. Dans le film, tout est suggéré.

Un roman qui met un point sur le i du mot confinement, et dans lequel puiser des forces toutes printanières.