đời là chiẽn trận, nếu buṍn là thua : "la vie est un combat où la tristesse entraîne la défaite" (ru) +1

You Can Get It If You Really Want, Desmond Dekker
Anna Valenn aime les +1ers romans

Tout récemment, j'ai vu à Montréal une grand-mère vietnamienne demander à son petit-fils d'un an : "Thương Bà để đâu ?" Je ne sais pas comment traduire cette phrase de seulement quatre mots, mais qui contient deux verbes, "aimer" et "porter". Littéralement, c'est : "Aimer grand-mère porter où ?" Le petit s'est touché la tête avec la main. J'avais complètement oublié ce geste, que moi-même j'ai fait mille fois quand j'étais petite. J'avais oublié que l'amour vient de la tête et non pas du coeur. De tout le corps, seule la tête importe. Il suffit de toucher la tête d'un Vietnamien pour l'insulter, non seulement lui mais tout son arbre généalogique. C'est ainsi qu'un timide Vietnamien de huit ans s'est transformé en tigre furieux quand son coéquipier québécois a frotté le dessus de sa tête pour le féliciter d'avoir attrapé son premier ballon de football.

Si une marque d'affection peut parfois être comprise comme une offense, peut-être que le geste d'aimer n'est pas universel : il doit aussi être traduit d'une langue à l'autre, il doit être
Mes parents nous rappellent souvent, à mes frères et à moi, 
qu'ils n'auront pas d'argent à nous laisser en héritage, mais
je crois qu'ils nous ont déjà légué la richesse de leur mémoire, 
qui nous permet de saisir la beauté d'une grappe de glycine, 
la fragilité d'un mot, la force de l'émerveillement. 
Plus encore,
ils nous ont offert des pieds 
pour marcher jusqu'à nos rêves,
jusqu'à l'infini. 
C'est peut-être suffisant comme bagage
pour continuer notre voyage par nous-mêmes. Sinon, nous
encombrerions inutilement notre trajet avec des biens à 
transporter, à assurer, à entretenir.

Un dicton vietnamien dit : Seuls ceux qui ont des cheveux longs
ont peur, car personne ne peut tirer les cheveux de celui qui 
n'en a pas. Alors, j'essaie le plus possible de n'acquérir que les 
choses qui ne dépassent pas les limites de mon corps.

appris. Dans le cas du vietnamien, il est possible de classifier, de quantifier le geste d'aimer par des mots spécifiques : aimer par goût (thích), aimer sans être amoureux (tơng) aimer amoureusement (yêu), aimer avec ivresse (), aimer aveuglément (mù quáng), aimer par gratitude (tình nghĩa). Il est donc impossible d'aimer tout court, d'aimer sans sa tête.

J'ai de la chance d'avoir appris à savourer le plaisir de lover ma tête dans le creux d'une main, et mes parents ont de la chance de pouvoir capter l'amour de mes enfants quand ces derniers leur donnent des baisers dans les cheveux, spontanément, sans protocole, pendant une session de chatouilles au lit. 

Moi, j'ai touché la tête de mon père une seule fois. Il m'avait ordonné de m'appuyer sur lui pour sauter par-dessus la rampe du bateau.



Ru, Kim Thúy éditions aux éditions Liana Levi, aussi en Livre de Poche -  
Dans ce premier roman écrit en français, Kim Thúy, qui fut "boat people" du Vietnam à l'âge de dix ans, raconte avec grâce, pudeur et poésie, des bribes de son passé, comme si c'était des historiettes. Émouvant, et riche de leçons de vie.


Je m'appelle Nguyễn An Tịnh et ma mère, Nguyễn An Tĩnh. Mon nom est une simple variation du sien puisque seul un point sous le i me différencie d'elle, me distingue d'elle, me dissocie d'elle. J'étais une extension d'elle, jusque dans le sens de mon nom. En vietnamien, le sien veut dire "environnement paisible" et le mien, "intérieur paisible". Par ces noms presque interchangeables, ma mère confirmait que j'étais une suite d'elle, que je continuerais son histoire. 

L'Histoire du Vietnam, celle avec un grand H, a déjoué les plans de ma mère. Elle a jeté les accents de nos noms à l'eau quand elle nous a fait traverser le golfe de Siam, il y a trente ans. Elle a aussi dépouillé nos noms de leur sens, les réduisant à des sons à la fois étrangers et étranges dans la langue française. Elle est surtout venue rompre mon rôle de prolongement naturel de ma mère quand j'ai eu dix ans.