magdouchka ! (la porte / az ajtó)

Oi Mutsi Mutsi, Tuomari Nurmio



Anna Valenn, Le Blog
Une foule noire se pressait sur le parvis de la maison funéraire. Je ne le vis pas, on me le dit par la suite, tous les commerçants privés de notre quartier avaient fermé à l'heure de l'enterrement, le cordonnier, Chouchou, la brodeuse de foulards, le marchand d'eau gazeuse, le tailleur, la remmailleuse, la marchande de gaufres, le pédicure, le fourreur. Chacune de leurs boutiques portait un écriteau disant à peu près la même chose : Fermé jusqu'à deux heures pour raisons familiales. Je suis à un enterrement. Le cordonnier se montra plus concis, à côté de ses heures d'ouverture, il avait noté E-m-e-r-e-n-c-e. Une musique triste s'entendait de loin, l'urne était entourée d'innombrables petits bouquets, j'étais incapable de la regarder, le fis de Joszsi conduisait le deuil avec le lieutenant-colonel. Je me demandais si le pasteur allait vraiment venir, parce que nous avions eu une discussion pénible d'une demi-heure, digne d'être publiée dans un bulletin théologique, on aurait dit une dispute des anciens Pères de l'Eglise sur des problèmes de leur temps. La thèse du pasteur était la suivante : pourquoi une personne qui ne manquait pas une occasion de faire savoir qu'elle s'était éloignée du Ciel, qui ne venait jamais dans la maison du Seigneur et scandalisait les fidèles par ses déclarations, avait-elle besoin d'un enterrement religieux ? Quand je tentai de lui faire comprendre qui était Emerence, il répliqua avec un regard glacial qu'il était de son devoir d'examiner du point de vue de Dieu et de l'Eglise à quel titre une personne qui ne pratiquait pas sa foi, apportait le scandale dans la communauté par sa vie marginale et indigne d'un membre de l'Eglise, et qui ne communiait jamais, réclamait un service religieux. Ce n'est pas elle qui le réclame, répondis-je, c'est moi et tous les gens de bonne volonté, cet hommage lui revient, parce que parmi ses chères ouailles, j'en connais peu qui soient aussi bons chrétiens que cette vieille femme, qui disait des horreurs de l'Eglise en tant qu'institution, et déclarait à propos de la prédestination qu'elle ne croyait pas que Dieu vaille moins qu'elle, elle qui, lorsque le chien faisait une bêtise, tenait compte du fait que Viola n'était pas humain, et ne le châtiait donc pas pour l'éternité, alors comment le Seigneur aurait-il été assez injuste pour la damner de son vivant, avant même d'avoir pesé sa vie ? Cette femme ne mettait pas sa foi chrétienne en pratique le dimanche entre neuf et dix à l'église, mais tout au long de sa vie, dans son entourage, et avec l'amour du prochain qu'on trouve dans la Bible, et s'il ne voulait pas me croire, c'est qu'il était aveugle, parce qu'il avait pu la voir assez souvent dans les quartier avec son plat de marraine. Le jeune homme instruit et sévère ne dit ni oui ni non, il me demanda à quelle heure était la cérémonie et m'accompagna à la porte avec courtoisie, mais sans la moindre marque de compassion, en me faisant comprendre qu'Emerence ne lui avait malheureusement jamais donné l'occasion de reconnaître ses qualités.



La porte (Az ajtó), Magda Szabó - traduction du hongrois par Chantal Philippe pour les éditions Viviane Hamy ; aussi en Livre de Poche . Prix Femina étranger C'est une histoire d'affection d'ordre filial entre Magda, écrivaine reconnue, et sa servante pendant vingt ans, Émerence, toute générosité courage, excentricité et dignité. Roman original, chaleureux comme un plat de marraine.


Je suis quelqu'un de sociable, j'aime parler même à des inconnus, Emerence se limitait à dire le strict nécessaire, retournait vite au travail qu'elle effectuait avec tant de soin, car elle avait toujours cinquante mille choses à faire. Elle vivait vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et bien qu'elle ne reçut personne entre ses quatre murs, les nouvelles passaient par elle, le carré de sa loge était comme une salle de télex, chacun annonçait tout ce qu'il savait, décès, scandales, bonnes nouvelles, catastrophes. Elle avait plaisir à s'occuper des malades, je la rencontrais presque chaque jour dans la rue portant un récipient couvert que je reconnaissais à sa forme ; à tous ceux qui, selon la rumeur publique, avait besoin de nourriture reconstituante elle attribuait une portion mesurée dans un plat de marraine. Emerence savait toujours où on avait besoin d'elle, elle avait un tel rayonnement que les gens se laissaient aller aux confidences avec elle, sans espoir de confiance réciproque, ils savaient bien qu'en échange ils ne recevraient que lieux communs comme Polichinelle.