"bi... bisexuel ?" (tsukushi - au coeur du yamato)

Keep On Loving You, Cigarettes After Sex

Anna Valenn, le Feuilleton 
Il est déjà midi et quart. Nous avons faim. Yoshiko me demande ce que je voudrais pour le déjeuner. Je lui réponds que j'ai envie de manger des nouilles, udon ou soba. Elle dit que près d'ici il y a un restaurant qui sert des nouilles délicieuses, fabriquées à la main. Les gourmets du quartier l'adorent. Elle souligne : "Son tempura-udon est exquis !" Je suis tentée. Nous décidons d'y aller.

Le restaurant s'appelle Zakuro. Ce nom écrit en hiragana sur l'enseigne me plaît déjà. Le bâtiment est vétuste mais propret. Sur le noren bleu foncé sont dessinées plusieurs petites grenades rouges. Je me rappelle de leurs symboles : "sottise et élégance mûre". Yoshiko me dit que ce restaurant existe depuis plus de trente ans. Je suis étonnée. Quand j'étais jeune, je visitais souvent le quartier chinois avec mes parents. Nous passions toujours dans cette rue. Etrangement, je n'avais jamais remarqué ce restaurant.


Tsukushi, Aki Shimazaki, 4ème tome de la pentalogie AU COEUR DU YAMATO publié chez Léméac/Actes Sud ; en format poche Babel. -   Les Aki Shimazaki, on en lit un, on les lit tous, on les lit, on les relit, on les prête, on les offre à ceux qu'on aime.

Aki Shimazaki a l'art de raconter des histoires, autour d'un secret. Elle écrit de manière minimaliste et troublante, une langue franco canado japonaise au charme fou. Elle fonctionne par série de cinq romans liés entre eux, chaque roman éclairant les quatre autres. Expose, en même temps, des points d'Histoire ou particularités de la société japonaise. Ici le thème abordé est la bisexualité dans la société, famille traditionnelle japonaise.

J'entre dans notre chambre à coucher. Les draps de nos lits sont bien rangés. Je me dirige vers la table de chevet entre les deux lits. Je tire le tiroir et vois dedans des boutons de manchette, des épingles de cravate, des stylos, deux briquets et des boîtes d'allumettes. "Ah, les voilà !" Je prends la boîte dont l'image est la plus jolie : deux tsukushi peints à l'aquarelle. L'image m'attire. Je m'assieds sur mon lit et la fixe quelques instants.

Les deux tsukushi se dressent, presque de la même taille, sur un fond de teintes pastel. Ils sont couleur de peau, avec des nuances différentes : l'un plus foncé, l'autre plus pâle. Je murmure, malgré moi : "Sensuel..." Je regarde l'autre en face. Là, il y a un mot écrit en anglais : "fraternity". Ce mot est placé en bas à droite, très discrètement. La couleur du fond est aussi en teintes pastel. Il n'y a pas d'adresse, ni de numéro de téléphone, comme ceux d'un restaurant, d'un café ou d'un bar. C'est curieux. En tout cas, cette image de tsukushi me plaît beaucoup. Je glisse la boîte d'allumettes dans la poche de mon pantalon.