balzac et la petite tailleuse chinoise +1

Flowers, Little Simz
Quel éblouissement ! J'avais l'impression de m'évanouir dans les brumes de l'ivresse. Je sortis les romans un par un de la valise, les ouvris, contemplai les portraits des auteurs, et les passai à Luo. De les toucher du bout des doigts, il me semblait que mes mains, devenues pâles, étaient en contact avec des vies humaines.

- Ça me rappelle la scène d'un film, me dit Luo, quand les bandits ouvrent une valise pleine de billets...

- Tu sens les larmes de joie monter en toi ?

- Non. Je ressens de la haine.

- Moi aussi. Je hais tous ceux qui nous ont interdit ces livres.


Anna Valenn aime les +1ers romans
La dernière phrase que je prononçai m'effraya, comme si un écouteur pouvait être caché quelque part dans la pièce. Une telle phrase, dite par mégarde, pouvait coûter plusieurs années de prison.




Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, Dai Sijie chez Gallimard et en Folio. Dai Sijie écrit en français. Autobiographique.  - Luo et le narrateur, à peine sortis du collège, sont envoyés dans la montagne pour être 
Je remarquai que, quand elle riait,
 ses yeux révélaient une nature primitive,
 comme des sauvageonnes de notre village.
 Son regard avait l'éclat des pierres précieuses
 mais brutes, du métal non poli, et cet effet 
était encore accentué par ses longs cils
et les coins finement retroussés de ses yeux.
rééduqués par les paysans. C'est que le père du narrateur est pneumologue, sa mère spécialiste des maladies parasitaires, le père de Luo est
dentiste réputé,  tous considérés comme des "puantes 
autorités savantes". La jolie sauvageonne est la fille du couturier du village, convoitée de tous. Les deux garçons réussissent à mettre la main sur des lectures interdites, un exemplaire de Balzac. Et s'en servent pour la séduire. Ce sont les aventures et amours du trio que l'on suit, et l'effet des grands romans. Dai Sijie nous offre un gentil petit aperçu de la Révolution Culturelle telle qu'il l'a vécue. Un très joli roman, et qui donne envie de lire ou relire certains classiques.



Deux mots sur la rééducation : dans la Chine rouge, à la fin de l'année 68, le Grand Timonier de la Révolution, le président Mao, lança un jour une campagne qui allait changer profondément le pays ; les universités furent fermées, et les «jeunes intellectuels», c'est-à-dire les lycéens qui avaient fini leurs études secondaires, furent envoyés à la campagne pour être «rééduqués par les paysans pauvres». (Quelques années plus tard, cette idée sans précédent inspira un autre leader révolutionnaire asiatique, un Cambodgien, qui, plus ambitieux, et plus radical encore, envoya toute la population de la capitale, vieux et jeunes confondus, «à la campagne».)