Anna Valenn aime les +1ers romans
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"tout, toujours, reste en nous, c'est nous qui l'oublions." (yeruldelgger) +1
Fire Coming Out Of The Monkey's Head, Gorillaz
Yeruldelgger aimait les archers. Il avait été le meilleur du monastère. Il aimait la tension des muscles quand il fallait bander l'arc et le retenir, et le vide absolue qu'il fallait faire en soi pour quela main ne tremble pas. Il aurait eu la corpulence pour être un bon lutteur, mais il avait préféré l'arc. Dans les naddam pourtant, c'était devenu le sport des femmes. Ici, les hommes allaient tirer quarante flèches sur une cible à soixante-quinze mètres. Les femmes moitié moins de flèches, sur des cibles à soixante mètres. Mais les hommes étaient tous vieux. Peu de jeunes voulaient pratiquer ce sport féminin. Et jamais aucun archer ne plantait toutes ses flèches dans la cible. Il était rare qu'un concurrent entende, à chaque tir, le chant aigu du juge qui criait son score.
A la fin de sa première année au monastère, Yeruldelgger plaçait toutes ses flèches dans la cible. C'était un archer hors pair. Pour l'entraîner, le Nerguii de l'époque plantait les cibles au fond des bois et Yeruldelgger devait trouver la ligne droite qui transperçait la forêt entre les troncs et les branches. Il n'avait pas touché un arc depuis longtemps, mais après son récent séjour au monastère, il savait la puissance et la précision de son tir encore intactes au fond de lui. C'est ce que lui avait réappris le Nerguii : "Tout, toujours, reste en nous, c'est nous qui l'oublions." Il observa une dernière fois la scène depuis le haut de la colline. Un naadam de campagne comme il en avait tant fréquenté dans sa jeunesse. Chaque Mongol portait en lui un inoubliable souvenir de naadam : une première cuite, un premier baiser, un premier amour, une première bagarre, une première blessure, une rupture, une infinie solitude dans la foule... Nul doute que ce naadam-là allait aussi marquer la vie de Yeruldelgger.
Yeruldelgger, Ian Manook, éd. Albin Michel ; et Livre de Poche - Un premier roman et polar mongol. Original et dépaysant.
[Avant-Propos] Suis-je ou non mongol ? Moi qui suis un Parisien d'Arménie. Où écris-je ? Sur mon lieu de travail. Comment ? Sans plan et d'un seul jet. À quelle vitesse ? Plutôt vite, une dizaine de pages par jour. Avec quelle documentation préalable ? Aucune, sinon mes souvenirs de voyages et de lectures, et quelques vérifications en cours d'écriture. Puis on cherche à me cataloguer : «Ethno-polar», ça me va. Bien sûr que non, mais «écrivain voyageur» auteur de «polar nomades», oui. Polar, thriller ou roman noir ? Je ne connais même pas la différence, mais romancier, oui ! C'est d'ailleurs ce qui m'a séduit dans l'écriture de ce polar mongol : prendre le temps de développer une intrigue, me faire chahuter par mes propres personnages, évoquer mes voyages. Dans «roman policier», il y a surtout et avant tout, pour moi, le mot, «roman».