Patrick fit avec sa bouche une moue exprimant à la fois respect et ironie, et dit qu'il n'avait pas ce genre de musique-là, mais plutôt des chansons. Il demanda à Nicolas de choisir une cassette : il n'avait qu'à prendre la petite mallette, sur la banquette arrière, et lui lire les titres. Nicolas obéit. Il peinait à déchiffre les mots anglais, mais Patrick complétait les premières syllabes qu'il ânonnait et, à la troisième cassette, dit que ça irait. Il la glissa dans le lecteur et la musique éclata, au beau milieu d'une chanson. La voix était rauque, railleuse, les guitares cinglaient comme des coups de fouet. Cela donnait une impression de brutalité, mais aussi de souplesse, comme les détentes d'un fauve. A la télévision, ce genre de musique incitait ses parents à baisser le son, mécontents. Si on lui avait demandé son avis, Nicolas en temps normal aurait dit que cela ne lui plaisait pas, mais ce jour-là il fut transporté. Patrick, à côté de lui, tapotait le volant pour marquer le rythme, bougeait en cadence, de temps en temps fredonnait une phrase avec le chanteur. Il poussa en même temps que lui un petit gémissement aigu. La voiture roulait en parfaite harmonie avec la musique, accélérait quant elle accélérait, quand elle ralentissait prenait de larges virages, tout vibrait à l'unisson, les pneus mordant sur la chaussée, les courbes de la route, les changements de vitesse et surtout le corps de Patrick qui, tout en conduisant, ondulait souplement, le sourire aux lèvres, les yeux plissés par les rayons du soleil illuminant le pare-brise. Jamais Nicolas n'avait rien entendu d'aussi beau que cette chanson, tout son corps y participait, il aurait voulu que sa vie entière soit ainsi, voyager toujours à l'avant des voitures en écoutant ce genre de musique, et plus tard ressembler à Patrick : aussi bon conducteur, aussi à l'aise, aussi souverainement libre de ses mouvements.
Jean-Claude Romand, l'imposteur, meurtrier de toute sa famille, et dont l'affaire, sujet du roman l'Adversaire, habitait Emmanuel Carrère au moment où il écrivait La Classe de neige, lui aurait confié avoir retrouvé "l'exact récit de son enfance."
La Classe de neige a été adapté au grand écran par Claude Miller, et prix du Jury du Festival de Cannes 1998.
À présent c'était fini, il avait par la faute de son père attiré l'attention de tout le monde et devinait que son pressentiment était juste : la classe de neige allait être une épreuve terrible.