au revoir là-haut

Immortels, Bashung

Anna Valenn, et c'est du cinéma

M. Péricourt s'était toujours interdit la moindre vision précise concernant ce qu'il appelait les "goûts affectifs" de son fils. Même en son for intérieur, il ne réfléchissait jamais en termes de "préférence sexuelle" ou quoi que ce soit de cette sorte, trop précise pour lui, choquante. Mais comme pour ces pensées qui vous semblent surprenantes, dont vous comprenez pourtant qu'elles vous ont, en fait, travaillé souterrainement un long moment avant d'émerger, ils se demanda si ce jeune homme avec strabisme et fossette était un "ami" d'Edouard. Mentalement, il spécifia : un amour d'Edouard. Et la chose ne lui apparut plus aussi scandaleuse qu'auparavant, seulement troublante ; il ne voulait pas imaginer... Il ne fallait pas que cela soit trop réaliste... Son fils n'était pas "comme les autres", voilà tout. Des hommes comme les autres, il en voyait beaucoup autour de lui, des employés, des collaborateurs, des clients, les fils, les frères des uns ou des autres, et il ne les enviait plus comme autrefois. Il ne parvenait même pas à se souvenir des avantages qu'il leur trouvait à l'époque, quelle supériorité, à ses yeux, ils avaient alors sur Edouard. Il se détestait rétrospectivement pour sa bêtise.




Au revoir là-haut, Pierre Lemaitre aux éditions Albin Michel, en Livre de Poche. Prix Goncourt 2013 - Un grand roman anar, et très bien construit, à la polar, sur la toute fin de la guerre de 14-18 et l'après. Une écriture cinématographique, les personnages créés sont intenses, vibrants, du sentiment, des rebondissements, de la fantaisie, c'est trop bon, les 573 (624 en poche) pages se dévorent. 
Adapté au cinéma par Albert Dupontel. En BD aussi avec Christian de Metter.


en art, on voit souvent
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, Madeleine, un jour, trancha clairement sur son physique médiocre. Elle avait  seize ans, dix-sept. Son père l'embrassait sur le front, la voyait mais ne la regardait pas. Il n'y avait pas de femme dans cette maison pour lui dire, à elle, ce qu'il fallait faire, comment s'arranger, elle devait deviner, observer les autres, les copier, toujours en un peu moins bien. Déjà qu'elle n'avait pas beaucoup de goût pour ces choses. Elle voyait que sa jeunesse, ce qui aurait pu être sa beauté, du moins son caractère, fondait, s'effilochait, parce que personne ne s'en occupait. Elle avait de l'argent, ça, on n'en manquait pas chez les Péricourt, ça tenait même lieu de tout, alors elle paya des maquilleuses, des manucures, des esthéticiennes, des couturières, plus qu'il n'en eût fallu. Madeleine n'était pas un laideron, elle était une jeune fille sans amour. L'homme dont elle attendait un regard de désir, qui seul pouvait lui fournir un peu d'assurance nécessaire pour devenir une jeune femme heureuse, était un homme occupé, occupé comme on le dit d'un territoire, occupé par l'ennemi, les affaires, les adversaires à combattre, les cours de la Bourse, les influences politiques, accessoirement ce fils à ignorer (tâche qui lui prenait beaucoup de temps), toutes ces choses qui lui faisaient dire "Ah Madeleine, tu étais là, je ne t'avais pas vue, file au salon, ma chérie, j'ai du travail !", alors qu'elle avait changé de coiffure ou qu'elle portait une nouvelle robe.